Connu pour l’émission Islam qu’il présente depuis 2001 sur France 2, tout comme il produit et anime l’émission Questions d’islam sur France Culture. Ghaleb Bencheikh, Vice-Président des Voix de la Paix, place le dialogue au cœur de la République et refuse de censurer les religions comme un tabou. Rencontre avec l’un des grands penseurs de la laïcité.
- Vous êtes vice-président de l’association Les Voix de la Paix. Pourquoi ajouter cette fonction à vos nombreux titres associatifs ?
Pour moi, il s’agit d’une question de cohérence. En tant que citoyen français, je ne peux pas me contenter de condamner les discriminations et les violences que j’observe sans m’engager dans une activité concrète en faveur des idées que je défends. L’association a choisi le dialogue comme méthode d’action. Je suis profondément convaincu que celui-ci est la clé pour sortir par le haut de la situation tragique que vit la France.
- Le dialogue est un mot à la mode. Peut-il vraiment contribuer à réduire la fracture sociale que nous vivons aujourd'hui ?
Le dialogue n’est pas seulement un effet de mode : il relève du vital. On ne peut pas être soi sans l’autre et on ne peut pas vivre seul. C’est l’altérité qui nous définit : si nous sommes beaux, c’est que nous le sommes dans le regard de quelqu’un et en comparaison avec les autres. Ce dialogue est d’autant plus vital aujourd’hui que nous vivons avec la menace du terrorisme abject. Notre nation est résiliente, elle n’a nul besoin d’être secouée par des conflits internes. Je n’aime pas beaucoup le terme de « vivre-ensemble », qu’on agite trop souvent comme un mot-hochet. Néanmoins, le fait est que nous sommes ensemble. Choisirons-nous de ne pas échanger entre nous et de privilégier le repli et le communautarisme ou voulons-nous construire ensemble une société commune, nous engager pour un projet commun et pour cela mettre du liant, promouvoir un dialogue respectueux et exigeant ?
- Mais comment parler de religions dans un contexte où la laïcité tend à en faire un tabou ?
En réalité, la laïcité n’est pas une valeur : c’est un principe juridique, issu de la rationalité des Hommes. Elle n'est ni dogme ni idéologie ; elle garantit la cohabitation des sacrés dans l’espace public, le droit de croire, de ne pas croire ou de changer de croyances. En ce sens, la laïcité fonctionne comme le catalyseur en chimie : de la même manière que ce dernier favorise la réaction chimique sans y participer, la laïcité est le catalyseur de l’harmonie du vivre-ensemble. Les Voix de la Paix est une association qui déroule toutes ses actions sous la voûte commune de la laïcité, en plaçant le respect de l’autre au cœur de la démarche. Il s’agit surtout de ne jamais oublier que c’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi.
- Les actions de l'association font aussi la part belle à la pédagogie. De quelle manière l’école doit-elle contribuer à construire une société unie et laïque ?
Le rôle de l'école est de sanctuariser les valeurs de la République et l’idéal démocratique. A côté des cours de culture générale, elle doit aussi proposer une ouverture sur le monde, par exemple à travers l’art. Comment apprécier l’œuvre de Botticelli si on n’a pas une culture religieuse ? On ne peut pas s’exclamer « qui c’est, cette meuf ? » devant un tableau de la vierge Marie ! Les traditions religieuses sont un outil parmi d’autres pour décrypter le monde qui nous entoure. De fait, l’école forme également à l’altérité : altérité confessionnelle, altérité de genre, des goûts, … Grâce à une approche plurielle, l’éducation aiguise la réflexion, polit le cœur, élève la conscience. Les Voix de la Paix explorera toutes les voies avec humilité et détermination pour contribuer à cette éducation citoyenne.