Éloge de l'identité

Yann

Le nouveau mantra anti-identitaire

Haro sur l'identité ! Tel est le nouveau mantra des médias. C'est Yann Moix, qui fustige notre timidité : que ne sommes-nous pas capables de souhaiter que la France ne devienne un pays musulman dans 20 ans ? Ou c'est Christine Angot qui, de bon matin sur France Inter, apporte sa pierre au nouvel édifice anti-identitaire: "[vouloir rester] Musulmans, arabes, juifs? Comme ça, on n'y arrivera pas", "Il faut se libérer de notre identité", "Une fois qu'on a jeté tout cela à la poubelle..."

Le nouvel impératif de l'émancipation cherchait des symboles à brûler sur l'autel de la modernité? Ce sera l'identité. Disparaissez, sujets imprégnés d'histoire, vous qui pensiez que le legs de mémoire reçu de vos prédécesseurs dessinait une identité collective! L'individu post-moderne est en quête insatiable de son auto-création. Il ne saurait admettre de prédécesseur: hériter est une faute, tenir à son identité un crime.

De quoi l'identité serait-elle coupable? Écoutons Christine Angot elle-même. Un matin, elle se résout à descendre au bas de son immeuble pour parler à un groupe de jeunes, tenant apparemment salon quotidien. Scène de genre, en verbatim: "à leurs yeux, rendez-vous compte, je ne suis qu'une bourgeoise, blanche, écrivaine" -trop-plein d'identité dont on est prié de comprendre qu'il bloque le dialogue avec "l'autre". Epopée sociale avec jeunes, donc, dont elle s'empresse de préciser qu'ils sont "noirs ou arabes"... On a bien compté. "Bourgeoise, blanche écrivaine, noir et arabe": cinq catégories poids-lourd en moins de deux phrases! Le tout sur fond d'une mythique "cage d'escalier": au final, un joli paquet de clichés...

L'auto-dissipation de soi n'offre à l'autre que de la déstabilisation

Résumons. Pour Christine Angot, toute catégorie identitaire est haïssable, sauf quand il s'agit de se les infliger. La vérité est ailleurs, c'est "l'autre" qui par définition la détient. Processus masochiste qui se veut louable ou valorisant. L'auto-flagellation, ici, constitue le ticket d'entrée pour accéder à la sainte parcelle de vérité de l'immigré, de l'opprimé. Mais attention ! "L'autre" est prié de rester rivé à sa condition et surtout de ne pas trop rêver à l'intégration. Christine Angot se donne la liberté de détruire à loisir sa propre identité, celle du blanc, du bourgeois, mais "L'autre" est prié de rester autre...

On pourra voir dans cette rage anti-identitaire une forme sociale d'obsession de la pureté... Effacer tout ce qui nous est donné par l'antérieur, ce que les générations passées ont déposé en nous et dont nous ne sommes pas les auteurs : on a ici affaire à un fantasme d'euthanasie mémorielle. En même temps, cette haine de soi masque mal l'immense orgueil de l'individualisme moderne. L'auto-dissipation de Christine Angot est non seulement un luxe, mais un luxe inéquitable. N'offrant rien d'autre à l'interlocuteur que déstabilisation et ironie, il le laisse seul face à ce paradoxe : dissiper son identité pour apaiser la culpabilité du colonialisme, c'est en fait déserter la relation à l'autre et la possibilité d'un dialogue. A l'inverse, penser qu'affirmer son identité revient à exclure l'autre, c'est lui refuser la politesse de supposer qu'il parle, lui aussi, de lui-même...

L'identité est un outil de la fraternité

Il est une phrase de Hillel, un sage du Talmud qui fut le maître de Jésus, qui formule joliment ce nécessaire socle de l'identité : "Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ?" La phrase d'Hillel est intéressante, car elle nous dit que la question n'est pas de savoir si j'ai une identité ou pas ; la question est de savoir "quand" ! Est-ce que je décide maintenant d'aborder moi-même la question de mon identité, ou est-ce que je la laisse filer, auquel cas c'est "l'autre" qui s'en chargera ?

On saisit l'acuité de cette question aujourd'hui. Car si, comme l'affirme l'adage de Desproges, "l'ennemi est bête car il pense que c'est nous l'ennemi, alors qu'en fait c'est lui", une chose est sûre, c'est l'ennemi qui toujours, nous désigne.

On l'aura compris, l'identité ne vas pas de soi, elle n'est pas un fait brut. L'identité n'est pas non plus une option, que nous aurions la liberté de trouver intéressante ou pas. Elle est affaire de responsabilité : oser parler en son nom, offrir un ancrage à l'autre pour qu'il puisse aussi parler en son nom. Ne laissons pas, en ces temps où notre mode de vie est attaqué, nos ennemis la définir, ni même nous piéger en suscitant chez nous de simples "répliques", qui nous feraient la définir de manière bêtement symétrique. Assumons notre héritage mémoriel et transformons notre identité en quelque chose de remarquable, en un outil pour la fraternité à venir. Avant que d'être frères, il faut savoir qui l'on est. Pour dialoguer, il faut pouvoir s'offrir en interlocuteur. Sinon, quand ?